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Fin XIIIe siècle. La Vida et la Canso "Tot I'an mi ten Amors" de Perdigon
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Une traduction de la vida a été donnée dans l’édition de Jean Boutière et A. H. Schutz, Biographies des troubadours. Textes provençaux des XIIIe et XIVe siècles. Édition refondue, augmentée d’une traduction française…, par Jean Boutière avec la collaboration d’Irénée Cluzel, Paris, 1964 (Les classiques d’oc, 1), p. 409 et 411. La traduction qui est donnée ici s’en inspire sans la reproduire et cherche à coller le plus possible au texte occitan.

La canso est constituée de cinq coblas unissonans, cinq strophes utilisant le même schéma : 10 a [-o], 10 b [-is], 10 b, 10 c [- ida], 10 c, 10 d [-en], 10 d, 10 a, 10 a] suivies d’une tornada. Une traduction accompagne l’édition Chaytor des poésies de Perdigon : la traduction qui est donnée ici s’en écarte et tient compte d’une part que le texte du chansonnier A n’est pas celui qui a été pris comme base de l’éditon Chaytor, d’autre part des remarques sur le vocabulaire juridique employé par les troubadours formulées par Giulio Bertoni, " Riflessi di costumanze giuridiche nell’antica poesia di Provenza ", dans Archivum romanicum, t. 1, 1917, p. 4-20, aux pages 8 à 12 pour la strophe V de cette canso, en particulier sur le sens de de plan (p. 9-10) et de batalh’aramida (p. 10-12). On trouvera une excellente vue d’ensemble sur l’utilisation par les troubadours de mots ou d’expressions juridiques par Paul Ourliac, « Troubadours et juristes », dans Cahiers de civilisation médiévale, t. 8, 1965, p. 159-177, réimprimé dans Études d’histoire du droit médiéval, Paris, 1979, p. 273-301.

Texte original Traduction
La vida

Perdigons fon joglars e saup trobar e viular trop ben ;
e fon de l’evescat de Gavaudan d’un castel q(e) a nom
Lesperon
e fon fills d’un paubre homen
qe era pescaire ;
e p(er) son sen e p(er) son trobar
poiet en gran pretz (et) en
gran honor,
tant qe.l dalfins d’Alvernge lo tenc per son cavallier
e.l vestic e l’armet ab se lonc temps
e.il donet terra e renda.
E tuich li baron e.il prince li fasiant trop grand honor.
Lonc temps ac de grans bonas aventuras
mas mout li camieron pois las bonas aventuras e vengron li
las malas
qez el p(er)det los amics e las amigas e.l pretz e l’onor e
l’aver
e pois el se rendet en l’orden de Cistel e lai moric.
Et aqui son escriutas de las soas canssos.

La canso

Tot l’an mi ten Amors d’aital faiso
cum estai cel q’a.l mal dond s’adormis
e morria dormen, tant es conquis,
en breu d’ora, entro c’om lo ressida ;
atressi m’es tals dolors demedida
qe.m don’Amors que sol no.m sai ni.m sen,
e cuich morir ab aqest marrimen,
tro qe m’esfortz de far una chansso
qe.m resside d’aqest tormen on so.
Ben fetz Amors l’usatge del larro
qand encontra cellui d’estraing pays
e.il fai creire c’aillors es sos camis,
tro qu’el li ditz : « Bels amics, tu mi guida »
et enaissi es mainta gens trahida
qe lai.l mena on puois lo lia e.l pren ;
et eu puosc dir atressi veramen
qez eu segei Amor tant co.il saup bo,
tant mi menet tro m’ac en sa preiso.


E te.m lai pres on non trob rezensso
mas de ma mort, c’aissi lor abellis
entre midonz et Amors cui sui fis :
lor platz ma mortz e lor es abellida,
mas eu sui cel que merce no lor crida
plus cum fai cel q’es liuratz a tormen
que sap que plus no.il valria nien
clamar merce, aia tort o razo :
per q’eu m’en lais qe mot non lor en so.

Pero non sai cal me fassa o cal no,
pois per mon dan m’engana e.m trahis,
Amors vas cui estau totz temps aclis
al sieu plazer, c’aitals fo m’escarida ;
e tengr’o trop a paraula grazida
sol no.m mostres tant brau chaptenemen ;
mas sill s’aunis pe.l mieu dechazemen,
ben fai semblan qe m’aia cor fello,
qe per mon dan non tem far mespreiso.

E fatz esfortz s’ab ira joi mi do
mas en aisso.m conort e m’afortis
contra.l desir en c’Amors m’a assis ;
aissi cum cel c’a bataill’aramida,
qe sap de plan sa razos es delida
qand es en cort on hom dreich no.ill consen,
et ab tot so si.s combat eissamen
mi combat eu en cort on no.m ten pro

qe Amors m’a forjutgat non sai co.

Ai ! Bel Esper, pros dompna issernida,
tant grans dreitz es si d’Amor mal mi pren
car anc de vos mi parti, las, dolen,
per cel’una qe ja no.m tenra pro,
anz m’aucira en sa doussa preiso.
La vida

Perdigon fut jongleur et sut très bien « trouver »
et jouer de la viole. Il fut de l’évêché de Gévaudan, d’un
bourg fortifié qui a nom Lesperon et fut le fils
d’un pauvre homme qui était pêcheur.
Grâce à son intelligence et à son art, il s’éleva à un très haut
degré d’estime et d’honneur à tel point que le dauphin d’Auvergne
l’agréa comme son chevalier et
lui fournit pendant longtemps
vĂŞtements et armes en le gardant Ă 
ses côtés et lui donna terre et rente.
Et tous les seigneurs et les princes
lui faisaient très grand honneur.
Pendant longtemps,
il connut de grandes et belles fortunes
mais pour lui disparurent ensuite les belles fortunes
et vinrent les mauvaises, car il perdit ses amis
et ses amies et l’estime et l’honneur et la richesse.
Et puis il entra dans l’ordre de Cîteaux et mourut là.
Et ici sont Ă©crites de ses chansons.

La canso

Toute l’année, Amour me tient d’une manière telle
que je suis comme celui qui souffre de la maladie qui le fait dormir
et qui de ce sommeil mourrait, tellement il est assommé,
en peu de temps, si on ne le reveille pas ;
la douleur qui m’est échue
et que me donne Amour est telle que je n’ai plus
conscience ni sentiment de moi-mĂŞme
et je crois mourrir de cette affliction,
jusqu’à ce que je m’efforce de faire une chanson
qui me réveille de cette torture où je me trouve.
Amour a agi selon l’usage du voleur
qui, lorsqu’il rencontre un homme d’un pays étranger,
lui fait croire qu’ailleurs est son chemin,
jusqu’à ce que celui-ci lui dise : « Bel ami, toi, guide-moi. »
C’est ainsi que maintes gens sont trahies,
car il les mène là où ensuite il les lie et les fait prisonnniers ;
et moi, je puis dire avec autant de vérité
que j’ai suivi Amour aussi longtemps qu’il lui a paru bon,
et il m’a mené jusqu’au moment où il m’a serré dans sa prison.

Et il me tient prisonnier lĂ  oĂą je ne trouve pas de rachat
sinon par ma mort, car il leur plait ainsi,
à ma dame et seigneur et à Amour à qui je suis fidèle :
tous deux désirent ma mort et elle leur est agréable,
mais je suis celui qui ne va pas leur crier grâce,
pas plus que celui qui est livré à la torture
car il sait que crier grâce ne lui servirait désormais à rien,
qu’il ait tort ou raison :
c’est pourquoi je me refuse à leur en souffler mot.

Pour cette raison, je ne sais quelle chose faire ou ne pas faire,
puisque, pour mon malheur, il me trompe et me trahit,
Amour, à la volonté duquel je me plie toujours,
suivant son bon plaisir, car telle fut ma destinée ;
et je considérerais cela comme une parole de remerciement
s’il ne me montrait un comportement aussi dur ;
mais il se couvre de honte en causant ma ruine
et montre bien qu’il a envers moi un cœur félon
car il ne craint pas, pour mon malheur, de faire une faute.

Je fais des efforts pour tirer du « joi » de ma tristesse
mais ainsi je me réconforte et m’endurcit
contre le désir dans lequel Amour m’a installé ;
pareil Ă  celui qui a un duel judiciaire
et sait que sa cause est rejetée sommairement
car il se trouve devant un tribunal oĂą on ne lui fait pas droit
et malgré tout il se bat
de la même manière je me bats devant un tribunal ou
on ne me respecte pas mon droit à la défense
car Amour m’a condamné à tort, je ne sais pourquoi.

Ah ! Bel Espoir, bonne et sage dame,
c’est justice si quelque mal m’arrive d’Amour
car un jour je vous ai quittée, hélas, malheureux que je suis,
pour une qui jamais ne respectera mon droit à la défense,
mais me tuera dans sa douce prison;