Texte original | Traduction | |
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(
Croix
) In nomine sancte et individue Trinitatis, amen. Ego Odo, dominus
castri |
(Croix) Au nom de la sainte et indivise Trinité,
amen. Moi Eudes, seigneur du |
Comprendre le document
Tout semble a priori transparent. L’acte est bien daté, le texte est prodigue en noms, et les protagonistes sont bien connus : la riche et active abbaye de Prémontré, qui poursuit depuis quelques décennies sa dynamique politique de mise en valeur de la terre ; le seigneur de Ham, un puissant seigneur châtelain du sud de la Picardie (anc. diocèse de Noyon), contrôlant un carrefour de routes (Nesle, Saint-Quentin, Noyon) et ici saisi, comme dans nombre de chartes du XIIe siècle, grâce au double apport de la laudatio parentum et des listes de témoins, dans un instantané de sa famille (épouse, trois frères, deux fils) et d’un groupe de voisins qui ont toutes les chances d’être aussi des vassaux.
En écho aux caractères externes, soignés, la rédaction est solennelle, mais le texte offre un mélange de détail et d’ellipse, de termes généraux et de mots techniques, qui en rendent le message parfois équivoque ou imprécis à nos yeux : la charte n’est bien sûr là que pour préciser ou ajuster une situation bien connue des contemporains, et que nous devons plutôt deviner, et parfois sans succès. Elle est là aussi, bien au-delà de ce que nous prenons pour son objet propre (créer un nouveau rapport de droit), pour sanctionner et consolider ou redresser des statuts : on pourra à cet égard relever le luxe de détails qui entourent la question de la crédibilité (veritas) du frère préposé à la moisson ou de son serviteur, qui, à la différence du religieux, pourra être contraint à prêter serment « sur les saints » (c’est-à -dire sur tout objet sacré). Point nodal de la théologie et de la justice du temps, la foi et le serment sont représentés ici par une riche palette sémantique : veritas, infidelitas, juramentum.
Le vocabulaire et sa traduction posent plus d’un problème : faut-il et en quoi opposer le serviens du seigneur et le famulus de l’abbaye ? Le premier donnera « sergent » dans l’administration royale et princière, mais ce terme semble encore un peu trop précis pour l’époque. Le second fait-il écho à la grande famille que religieux et convers sont censés formés ? Notre traduction se résout à gommer l’écart, qui pourrait ne procéder que d’une recherche de variété, car dans les deux cas on désigne des subalternes affectés à la gestion.
Pour parler plus directement, la traduction amène aussi à glisser vers l’anachronisme : on parle de fauche au moment de la moisson, alors que, comme dans l’Antiquité classique, il s’agit de secare les épis, de les « scier », surtout à la faucille, et haut sur la tige. L’opération est traduite par secare/secatio, alors que ses agents sont qualifiés, plus génériquement, de messores. Le vocabulaire technique est encore représenté par triturari, forragium. L’on ne peut donc dire que le rédacteur soit éloigné de la vie des champs.
Son expression n’en pose pas moins, au détour, de graves problèmes de compréhension, que nous avons voulu laisser subsister à l’état brut dans la traduction. Le plus épineux réside (l. 7) dans le premier emploi du mot secatio, plus loin employé pour la moisson. L’association du seigneur Eudes dans le bois de Concis (l’appellation est-elle à rapprocher du latin concisum, mis en coupe ?) est en effet présentée salva decima et secatione. Comme elle porte précisément, on l’explique en détail plus loin, sur le revenu de la récolte en grains, on ne voit pas pourquoi la moisson serait ici exceptée. Il faut donc supposer que, avec la dîme, qu’elle empoche, l’abbaye de Prémontré entend excepter du partage un droit précis, ne portant pas sur la récolte : ou la coupe des chaumes laissés en terre au moment de la moisson, ou (sens parfois attesté de secatio) la fauche de prés.
Sur le fond, la charte devrait être remise en série pour voir comment elle intervient à un moment précis de la négociation, intense en ces décennies, par laquelle l’entrepreneur ecclésiastique associe (le terme est là , assotiavit, l. 3) et intéresse à ses entreprises de défrichement et de mise en culture (les termes aussi sont là , extirpare, excolere, l. 5) le seigneur du lieu (qui n’est pas forcément moins dynamique, mais dont les entreprises restent dans l’ombre documentaire et dont la patrimoine et la trésorerie ont moins de surface). Le nouveau contrat est clair : Eudes consent de nouvelles modalités aux interventions de l’abbaye sur un bois. Il était d’abord question d’une première convention avec son père, peu claire parce que le statut primitif du bois nous est inconnu (sans doute appartenait-il au seigneur, puisque son fils le « rend ») ; toujours est-il, seul trait mentionné, que le seigneur devait empocher le quart du prix d’une éventuelle vente. Le nouveau seigneur résilie la convention, parce que l’abbaye entend passer à une phase active de défrichement. Elle obtient le feu vert en abandonnant au seigneur le neuvième de la récolte de grains, que celui-ci peut se faire livrer sur place (où il doit avoir une grange), ou faire traiter par les frères dans leur propre grange de Bonneuil (il se fait alors livrer les grains à Ham mais leur abandonne le fourrage). Pour emporter la négociation, les frères intéressent semblablement le seigneur dans le revenu d’une terre qui leur appartenait en propre. Comme ces versements peuvent créer précédent, on précise que la convention s’appliquera dans les mêmes termes à de nouveaux défrichements, mais pas aux terres anciennement cultivées.
Par-delà le flou de certaines prescriptions, la charte constitue un document précieux sur les opérations de défrichement, plus encore sur la gestion agraire et sur ses horizons comptables affermis (quartum denarium, nonam garbem, certa computatione).
Proposition de regeste :
Eudes, seigneur de Ham, concède à l’abbaye de Prémontré le bois dit Concis au finage de Golancourt, en abandonnant le droit qu’y avait son père Lancelin de percevoir le quart du prix d’une éventuelle vente. L’abbaye défrichera le bois et reversera au seigneur le neuvième de la récolte, excepté la dîme et le droit de fauche (secatio). Le même avantage est accordé au seigneur sur la terre de Lambert et sur les futurs essarts du finage, mais pas sur les terres anciennement cultivées. Prévenu un jour avant de la moisson, le seigneur pourra dépêcher sur place un serviteur, faute de quoi il devra s’en tenir à la parole du frère surveillant les moissonneurs ou au serment du serviteur de celui-ci. Sa part lui sera remise à Golancourt, ou battue par les frères, jusqu’à la Toussaint, dans leur grange de Bonneuil et livrée en grains à Ham, le fourrage leur restant.