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1177. Acte seigneurial
Notice   â€˘   Fac-similĂ© interactif   â€˘   Texte et traduction  â€˘  Commentaire diplomatique
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Texte original Traduction

( Croix ) In nomine sancte et individue Trinitatis, amen. Ego Odo, dominus castri
Hamensis, notum fieri volo presentibus et futuris quod ecclesia Premonstratensis
quandam silvam habebat, que vulgo Concis vocatur, in territorio de Gollencurt, in
qua sibi dominum Lancelinum patrem meum assotiavit ad quartum denarium si
eam aliquando vendere vellet prefata ecclesia. Post mortem vero ejusdem Lancelini,
ego Odo, filius ejus, illum quartum denarium indulsi prefate ecclesie et ipsam terram
ad extirpandum et excolendum in perpetuum ad nonam garbam, salva decima et
secatione, eidem ecclesie reddidi, assensu uxoris mee Elisabeth et fratrum meorum
Gerardi, Symonis, Lancelini clerici, et liberorum meorum Odonis, Gaufridi, ita quod
eadem ecclesia assotiavit me et heredes meos similiter ad nonam garbam in terra
Lamberti, in qua prius nichil habueram nec predecessores mei. Statutum est etiam
quod, si deinceps eadem ecclesia aliquam silvam in territorio de Gollencurt
adquisierit et extirpaverit, ibidem simili modo nonam garbam habebo ; sed in terra
ab antiquo exculta, si eadem ecclesia eam adquisierit, nullum mihi jus vendicare
potero. Cum autem secationis tempus advenerit, una die antequam secet nuntiabitur
mihi, ut pro parte mea mittam servientem meum ; quem si mittere noluero, veritati
fratris qui messores custodierit vel famulo ejusdem fratris, si frater defuerit, debebo
credere de partis mee quantitate ; quod si ipsum famulum de infidelitate suspectum
habuero, eum ad juramentum super sancta potero compellere, et ab ipso vel a
fratribus exinde nichil amplius exigere. Fratres etiam prefate ecclesie garbam meam
ducent ad Gollencurt si voluero vel, si mihi magis placuerit, in grangia sua Bonolii
sub certo testimonio et certa computatione collocabunt, et usque ad festum omnium
sanctorum facient triturari, et granum ducent Hamum, forragium sibi retinentes.
Huic concessioni et donationi interfuerunt testes : Guillelmus de Vilete, Rainerus de
Mateni, Symon Rattus, Petrus del Pleissei. Ut igitur hec concessio et donatio rata
permaneat et inconvulsa, presentem paginam sigilli nostri impressione communire
curavi. Actum anno incarnati Verbi M° C° LXXVII°.
[Légende du sceau :] Sigillum domini Odonis de Ham.

(Croix) Au nom de la sainte et indivise Trinité, amen. Moi Eudes, seigneur du
château de Ham, je veux que soit connu des hommes présents et à venir que l’église
de Prémontré avait un bois, dit en vulgaire “Concis”, au finage de Golancourt, dans
lequel la susdite église s’était associée mon père, le seigneur Lancelin, au quart
denier si elle voulait le vendre. Après la mort dudit Lancelin, moi Eudes, son fils, j’ai
abandonné ce quart denier à la susdite église, et j’ai rendu cette terre à ladite église,
pour qu’elle soit défrichée et mise en culture, à la neuvième gerbe, sauf la dîme et la
fauche, avec l’accord de mon épouse Elisabeth, de mes frères Gérard, Simon,
Lancelin clerc, et de mes enfants Eudes et Geoffroy, en sorte que ladite église m’a
semblablement associé, moi et mes héritiers, à la neuvième gerbe dans la terre de
Lambert, dans laquelle auparavant ni moi ni mes prédécesseurs n’avions rien eu. Il a
aussi été décidé que, si dorénavant ladite église venait à acquérir et défricher quelque
autre bois au finage de Golancourt, j’y aurai semblablement la neuvième gerbe ; mais
dans la terre anciennement mise en culture que ladite église viendrait à acquérir, je
ne pourrai réclamer aucun droit. Quand viendra le temps de la fauche, on me
préviendra un jour avant de faucher, pour que j’y envoie pour me représenter mon
serviteur ; si je ne veux pas l’envoyer, je devrai alors croire, sur la quantité de ma
part, la parole véridique du frère qui surveillera les moissonneurs, ou encore le
serviteur de ce frère ; et si je soupçonne de mauvaise foi ce serviteur, je pourrai le
contraindre Ă  un serment sur les saints, sans rien pouvoir demander de plus Ă  lui ni
aux frères. Les frères de la susdite église conduiront ma [part de] gerbes à Golancourt
si je le veux ou, si je le préfère, ils la déposeront, sous sûr témoignage et après
décompte précis, à leur grange de Bonneuil, où ils la feront battre jusqu’à la
Toussaint, avant d’apporter le grain à Ham, gardant pour eux le fourrage. À cette
concession et donation furent présents comme témoins : Guillaume de Villette,
Renier de Matigny, Simon le Rat, Pierre du Plessis. Pour que cette concession et
donation demeure ferme et respectée, j’ai pris soin de munir le présent acte de notre
sceau. Fait en l’an du Verbe incarné 1177.
[Légende du sceau :] Sceau du seigneur Eudes de Ham.

Comprendre le document

Tout semble a priori transparent. L’acte est bien daté, le texte est prodigue en noms, et les protagonistes sont bien connus : la riche et active abbaye de Prémontré, qui poursuit depuis quelques décennies sa dynamique politique de mise en valeur de la terre ; le seigneur de Ham, un puissant seigneur châtelain du sud de la Picardie (anc. diocèse de Noyon), contrôlant un carrefour de routes (Nesle, Saint-Quentin, Noyon) et ici saisi, comme dans nombre de chartes du XIIe siècle, grâce au double apport de la laudatio parentum et des listes de témoins, dans un instantané de sa famille (épouse, trois frères, deux fils) et d’un groupe de voisins qui ont toutes les chances d’être aussi des vassaux.

En écho aux caractères externes, soignés, la rédaction est solennelle, mais le texte offre un mélange de détail et d’ellipse, de termes généraux et de mots techniques, qui en rendent le message parfois équivoque ou imprécis à nos yeux : la charte n’est bien sûr là que pour préciser ou ajuster une situation bien connue des contemporains, et que nous devons plutôt deviner, et parfois sans succès. Elle est là aussi, bien au-delà de ce que nous prenons pour son objet propre (créer un nouveau rapport de droit), pour sanctionner et consolider ou redresser des statuts : on pourra à cet égard relever le luxe de détails qui entourent la question de la crédibilité (veritas) du frère préposé à la moisson ou de son serviteur, qui, à la différence du religieux, pourra être contraint à prêter serment « sur les saints » (c’est-à-dire sur tout objet sacré). Point nodal de la théologie et de la justice du temps, la foi et le serment sont représentés ici par une riche palette sémantique : veritas, infidelitas, juramentum.

Le vocabulaire et sa traduction posent plus d’un problème : faut-il et en quoi opposer le serviens du seigneur et le famulus de l’abbaye ? Le premier donnera « sergent » dans l’administration royale et princière, mais ce terme semble encore un peu trop précis pour l’époque. Le second fait-il écho à la grande famille que religieux et convers sont censés formés ? Notre traduction se résout à gommer l’écart, qui pourrait ne procéder que d’une recherche de variété, car dans les deux cas on désigne des subalternes affectés à la gestion.

Pour parler plus directement, la traduction amène aussi à glisser vers l’anachronisme : on parle de fauche au moment de la moisson, alors que, comme dans l’Antiquité classique, il s’agit de secare les épis, de les « scier », surtout à la faucille, et haut sur la tige. L’opération est traduite par secare/secatio, alors que ses agents sont qualifiés, plus génériquement, de messores. Le vocabulaire technique est encore représenté par triturari, forragium. L’on ne peut donc dire que le rédacteur soit éloigné de la vie des champs.

Son expression n’en pose pas moins, au détour, de graves problèmes de compréhension, que nous avons voulu laisser subsister à l’état brut dans la traduction. Le plus épineux réside (l. 7) dans le premier emploi du mot secatio, plus loin employé pour la moisson. L’association du seigneur Eudes dans le bois de Concis (l’appellation est-elle à rapprocher du latin concisum, mis en coupe ?) est en effet présentée salva decima et secatione. Comme elle porte précisément, on l’explique en détail plus loin, sur le revenu de la récolte en grains, on ne voit pas pourquoi la moisson serait ici exceptée. Il faut donc supposer que, avec la dîme, qu’elle empoche, l’abbaye de Prémontré entend excepter du partage un droit précis, ne portant pas sur la récolte : ou la coupe des chaumes laissés en terre au moment de la moisson, ou (sens parfois attesté de secatio) la fauche de prés.

Sur le fond, la charte devrait être remise en série pour voir comment elle intervient à un moment précis de la négociation, intense en ces décennies, par laquelle l’entrepreneur ecclésiastique associe (le terme est là, assotiavit, l. 3) et intéresse à ses entreprises de défrichement et de mise en culture (les termes aussi sont là, extirpare, excolere, l. 5) le seigneur du lieu (qui n’est pas forcément moins dynamique, mais dont les entreprises restent dans l’ombre documentaire et dont la patrimoine et la trésorerie ont moins de surface). Le nouveau contrat est clair : Eudes consent de nouvelles modalités aux interventions de l’abbaye sur un bois. Il était d’abord question d’une première convention avec son père, peu claire parce que le statut primitif du bois nous est inconnu (sans doute appartenait-il au seigneur, puisque son fils le « rend ») ; toujours est-il, seul trait mentionné, que le seigneur devait empocher le quart du prix d’une éventuelle vente. Le nouveau seigneur résilie la convention, parce que l’abbaye entend passer à une phase active de défrichement. Elle obtient le feu vert en abandonnant au seigneur le neuvième de la récolte de grains, que celui-ci peut se faire livrer sur place (où il doit avoir une grange), ou faire traiter par les frères dans leur propre grange de Bonneuil (il se fait alors livrer les grains à Ham mais leur abandonne le fourrage). Pour emporter la négociation, les frères intéressent semblablement le seigneur dans le revenu d’une terre qui leur appartenait en propre. Comme ces versements peuvent créer précédent, on précise que la convention s’appliquera dans les mêmes termes à de nouveaux défrichements, mais pas aux terres anciennement cultivées.

Par-delà le flou de certaines prescriptions, la charte constitue un document précieux sur les opérations de défrichement, plus encore sur la gestion agraire et sur ses horizons comptables affermis (quartum denarium, nonam garbem, certa computatione).

Proposition de regeste :

1177.

Eudes, seigneur de Ham, concède à l’abbaye de Prémontré le bois dit Concis au finage de Golancourt, en abandonnant le droit qu’y avait son père Lancelin de percevoir le quart du prix d’une éventuelle vente. L’abbaye défrichera le bois et reversera au seigneur le neuvième de la récolte, excepté la dîme et le droit de fauche (secatio). Le même avantage est accordé au seigneur sur la terre de Lambert et sur les futurs essarts du finage, mais pas sur les terres anciennement cultivées. Prévenu un jour avant de la moisson, le seigneur pourra dépêcher sur place un serviteur, faute de quoi il devra s’en tenir à la parole du frère surveillant les moissonneurs ou au serment du serviteur de celui-ci. Sa part lui sera remise à Golancourt, ou battue par les frères, jusqu’à la Toussaint, dans leur grange de Bonneuil et livrée en grains à Ham, le fourrage leur restant.