Comme les caractères externes, la langue et le style dénoncent à la fois le soin apporté à la rédaction et l’absence de toute solennité. Le latin est clair, facile à traduire ; il est perméable à la langue vulgaire quand il faut citer des noms propres. Le rédacteur scande le texte de façon sobre et efficace, mais sans grâce, pour préciser les différents temps des actions à répétitions, sur un canevas assez simple, où reviennent avec insistance les mentions de témoignages oculaires et de cérémonies, comme pour mieux ancrer la donation et ses confirmations dans le réel (Postea... videntibus... Item quoque... videntibus... Et... quando... videntibus...).
Tourné en forme subjective au cours du long récit auquel il se résume presque, l’acte semble enregistrer la prise de parole successive de la mère et des frères de l’oblat devenu moine. La notification initiale, pourtant, avec un “nous” collectif pas mieux explicité, porte à faux. De même, le traditionnel “S” barré du signum (plus ou moins autographe) des souscripteurs est manié de curieuse façon : il est suivi d’un nominatif, en lieu et place du génitif usuel (“Ceci est le seing d’Untel”) ; quand bien même l’on a choisi de le transcrire “Subscripsit”, pour être mieux en accord avec la grammaire, l’introduction (qui annonce une liste de témoins) et la conclusion (omnesque fratres simul) montrent que ce “S” barré a plus une valeur de marqueur graphique de la présence et du consentement, qu’une fonction grammaticale et technique de “seing de souscription”, et ce d’autant que personne n’est apparemment prié de souscrire... L’acte enfin ne porte aucune souscription-recognition de rédacteur.
En bref, s’il est encore présent par lambeaux, le système strict de l’acte privé du haut Moyen Âge a bel et bien cessé de vivre. Les diplomatistes anciens ont souvent traité avec mépris cette évolution, lue sur le mode de la décadence, plutôt que sur celui du maintien de formes traditionnelles, subverties en sous-œuvre.
L’emphase rédactionnelle et graphique mise sur la formule de date est remarquable. Si les actes royaux sont normalement datés de l’Incarnation depuis plus d’un siècle, celle-ci connaît alors une étape essentielle de diffusion dans l’acte « privé ». Plus caractéristiques encore sont le souci de croiser les datations exprimées par rapport aux puissances, pape et roi, duc et évêque (avec une prime au roi de France, qui appelle des majuscules : la référence aux années du roi était la seule usuelle dans l’acte du haut Moyen Âge), et encore le croisement avec des notations annalistiques régionales, passage du pape, signe céleste...
La date exprimée dans de tels actes est difficile à interpréter et, ici aussi, dévoile de redoutables difficultés. Le scribe a certes eu ici la volonté tardive de préciser la datation relative des deux dons successifs par rapport à deux abbatiats successifs (le don initial du père, apparemment décédé, puis les donations-confirmations de la mère et des frères). Mais que conclure, quand on trouve dans le chartrier de Saint-Maixent un autre acte au double nom du père et de la mère, Jourdain et Emma, tout uniment daté de 1096, sous l’abbatiat de Garnier, et où le père est présenté comme encore en vie (éd. A. Richard, n° 190) ?
Par petites touches, l’examen détaillé de l’acte impose donc l’idée que ces inflexions et apparentes bizarreries sont moins l’effet d’une dégénerescence que d’un changement de perspective, dû au fait que l’acte n’est plus composé par un rédacteur professionnel assumant un point de vue extérieur, mais par l’un des protagonistes, le bénéficiaire monastique en l’occurrence. Avec des lambeaux des formulaires anciens, il a créé un type entièrement nouveau, une « notice » qui vise à garder par écrit un trésor de mémoire, confié au “Nous” de la grande communauté des moines présents et futurs ; un document par ailleurs assez couvert par la sacralité du lieu pour qu’il puisse, du moins l’espère-t-on, garder un pouvoir actif sur la société, avant que les instances supérieures, à nouveau, n’imposent au cours du XIIe siècle de nouveaux standards transcendant progressivement ces usages “particularistes” mais tout autres que décadents.
Comme les caractères externes, la langue et le style dénoncent à la fois le soin apporté à la rédaction et l’absence de toute solennité. Le latin est clair, facile à traduire ; il est perméable à la langue vulgaire quand il faut citer des noms propres. Le rédacteur scande le texte de façon sobre et efficace, mais sans grâce, pour préciser les différents temps des actions à répétitions, sur un canevas assez simple, où reviennent avec insistance les mentions de témoignages oculaires et de cérémonies, comme pour mieux ancrer la donation et ses confirmations dans le réel (Postea... videntibus... Item quoque... videntibus... Et... quando... videntibus...).
Tourné en forme subjective au cours du long récit auquel il se résume presque, l’acte semble enregistrer la prise de parole successive de la mère et des frères de l’oblat devenu moine. La notification initiale, pourtant, avec un “nous” collectif pas mieux explicité, porte à faux. De même, le traditionnel “S” barré du signum (plus ou moins autographe) des souscripteurs est manié de curieuse façon : il est suivi d’un nominatif, en lieu et place du génitif usuel (“Ceci est le seing d’Untel”) ; quand bien même l’on a choisi de le transcrire “Subscripsit”, pour être mieux en accord avec la grammaire, l’introduction (qui annonce une liste de témoins) et la conclusion (omnesque fratres simul) montrent que ce “S” barré a plus une valeur de marqueur graphique de la présence et du consentement, qu’une fonction grammaticale et technique de “seing de souscription”, et ce d’autant que personne n’est apparemment prié de souscrire... L’acte enfin ne porte aucune souscription-recognition de rédacteur.
En bref, s’il est encore présent par lambeaux, le système strict de l’acte privé du haut Moyen Âge a bel et bien cessé de vivre. Les diplomatistes anciens ont souvent traité avec mépris cette évolution, lue sur le mode de la décadence, plutôt que sur celui du maintien de formes traditionnelles, subverties en sous-œuvre.
L’emphase rédactionnelle et graphique mise sur la formule de date est remarquable. Si les actes royaux sont normalement datés de l’Incarnation depuis plus d’un siècle, celle-ci connaît alors une étape essentielle de diffusion dans l’acte « privé ». Plus caractéristiques encore sont le souci de croiser les datations exprimées par rapport aux puissances, pape et roi, duc et évêque (avec une prime au roi de France, qui appelle des majuscules : la référence aux années du roi était la seule usuelle dans l’acte du haut Moyen Âge), et encore le croisement avec des notations annalistiques régionales, passage du pape, signe céleste...
La date exprimée dans de tels actes est difficile à interpréter et, ici aussi, dévoile de redoutables difficultés. Le scribe a certes eu ici la volonté tardive de préciser la datation relative des deux dons successifs par rapport à deux abbatiats successifs (le don initial du père, apparemment décédé, puis les donations-confirmations de la mère et des frères). Mais que conclure, quand on trouve dans le chartrier de Saint-Maixent un autre acte au double nom du père et de la mère, Jourdain et Emma, tout uniment daté de 1096, sous l’abbatiat de Garnier, et où le père est présenté comme encore en vie (éd. A. Richard, n° 190) ?
Par petites touches, l’examen détaillé de l’acte impose donc l’idée que ces inflexions et apparentes bizarreries sont moins l’effet d’une dégénerescence que d’un changement de perspective, dû au fait que l’acte n’est plus composé par un rédacteur professionnel assumant un point de vue extérieur, mais par l’un des protagonistes, le bénéficiaire monastique en l’occurrence. Avec des lambeaux des formulaires anciens, il a créé un type entièrement nouveau, une « notice » qui vise à garder par écrit un trésor de mémoire, confié au “Nous” de la grande communauté des moines présents et futurs ; un document par ailleurs assez couvert par la sacralité du lieu pour qu’il puisse, du moins l’espère-t-on, garder un pouvoir actif sur la société, avant que les instances supérieures, à nouveau, n’imposent au cours du XIIe siècle de nouveaux standards transcendant progressivement ces usages “particularistes” mais tout autres que décadents.