L'analyse diplomatique qui vient d'être menée permet de comprendre l'articulation du discours, les recettes utilisées, mais aussi de mieux percevoir le partage des interventions entre : un auteur de l'acte écrit, l'official, qui ne fait que notifier et authentifier (suscription et sceau doivent se correspondre), puisqu'il n'y ajoute pas "confirmation" ; sollicité pour son "autorité" pour délivrer un acte, cet auteur est aussi dépersonnalisé que le "sceau de la cour [d'officialité]" qu'il utilise ; cas extrême ici, on ne mentionne aucun délégué, aucun scripteur, en bref aucun responsable de la mise par écrit : cet acte est caractéristique du genre diplomatique le plus abstrait qu'ait imaginé le Moyen Âge ; fondé sur les trouvailles du droit canon (en particulier sur le concept de l'office), il est à la base de la diplomatique administrative contemporaine... ; un auteur de l'action juridique (ici une vente, un peu particulière puisqu'elle porte sur une terre déjà grevée d'une redevance au bénéfice du futur acquéreur), Richard et sa famille ; un bénéficiaire (qui conserve l'acte dans son chartrier), l'abbaye ; l'auteur de l'acte lui applique les mêmes principes qu'à lui-même : dépersonnalisation (le nom personnel de l'abbé n'est pas davantage cité), principes de droit canon (le convent doit donner son accord à la gestion de l'abbé) : cette force juridique est aussi, comparativement aux actes des siècles passés, une faiblesse en matière de prosopographie, mais il est vrai que les sources sont maintenant démultipliées. Deux plans très différents se conjoignent donc : au plan de la diplomatique, un acte d'officialité (l'une des multiples solutions imaginées pour donner authenticité aux actes "privés", aux contrats entre particuliers) ; pour le droit et l'histoire économique et sociale, la vente d'une terre tenue à champart.
Le regeste de l'acte, ne retenant que les données factuelles, peut donc faire tomber les clauses, voire mettre en valeur la vente en signalant à la suite l'intervention de l'official. Ainsi :
ou :
Le type d'écriture, les dimensions réduites, le peu de soin apporté à la présentation sont caractéristiques de ce type d'actes et communs à toutes les officialités, qui ont été un grand laboratoire d'innovations graphiques et de diffusion du droit savant appliqué : cette production est le fait d'un personnel de juristes et d'administrateurs, de formation commune, et qui suivent, pour la procédure et pour la rédaction des actes, des formulaires largement diffusés.
La notification, universelle, introduit de plain-pied, sans fioritures, dans la description précise de l'acte juridique notifié. Il faut être attentif aux mots clefs : in nostra constituti presentia... recognoverunt (l. 2-3). C'est cette recognitio in jure (la reconnaissance orale devant cour de justice d'un acte ou d'un fait juridique) qui donne à l'acte écrit toute sa valeur : la notification vaut sentence, le vendeur est par avance condamné à abandonner le bien. La formule renvoie directement au droit romain redécouvert : confessas in jure pro judicatis haberi placet (Code Justinien, 7, 59, 1 ; cf. aussi Digeste 42, 2, 1). La description proprement dite de l'action juridique n'occupe que cinq lignes et demie (l. 2-7), elle est faite avec sobriété et précision.
Dans toute la suite de l'acte, jusqu'à la corroboration (l. 7-17), le droit savant reprend le dessus, avec une longue suite de clauses, destinées à prouver que l'acte est inattaquable : l'argent de la vente a bien été versé ; les vendeurs se sont engagés par serment (l. 9-10 : contester l'acte reviendrait donc à un parjure, que l'acheteur pourrait faire poursuivre devant un tribunal ecclésiastique) ; ils ont agi de leur plein gré (l. 10-11) ; ils s'engagent à ne pas "réclamer" contre l'acte : l'épouse du vendeur en particulier ne pourra attaquer l'acte en prétendant qu'une part de sa dot ait été ainsi aliénée (l. 11-13) ; ils promettent de garantir l'acte contre d'éventuels ayants droit qui contesteraient la vente (l. 13-14) ; ils renoncent par serment à exciper ultérieurement d'éventuelles "exceptions" : "pécune non nombrée" (l. 14-15), exceptions de toute nature (l. 15), "aide de droit canonique et civil" (l. 15-17). Toutes ces formules, appelées à enfler encore, n'ont plus guère d'intérêt que pour l'historien du droit, qui, en les mettant en série, suit leur diffusion.
L'acte se clôt par une courte corroboration probatoire, ici aussi très courante, avec annonce du sceau de la cour d'officialité (l. 17) et la date, d'année et de jour, exprimé par référence au calendrier liturgique, qui l'emporte très largement dans les actes du XIIIe siècle (l. 18-19).
Maîtrise du formulaire, longueur des clauses (la partie directement utile pour l'historien, date à part, occupe à peine le tiers du document) sont les deux caractéristiques principales du texte, qui trouvent leur source commune dans la formation juridique du rédacteur. Le fond des solutions mises en œuvre est le même que pour les notaires publics ; la principale différence tient à la validation par le sceau. Cette synthèse (parfaitement efficace) de la renaissance juridique et des pratiques septentrionales est symbolisée par la juxtaposition de deux termes pour désigner l'acte : le très technique instrumentum (terme typique aussi de l'acte notarié, (l. 16) et le très traditionnel litterae (l. 17).
Noter toutefois la tension double qui traverse ce type de production : volonté de clarté graphique, mais hâte qui peut tendre vers la cursivité, les bévues ; identique souci de clarté linguistique, mais risque d'obscurité de clauses et de formules de plus en plus savantes.
L'analyse diplomatique qui vient d'être menée permet de comprendre l'articulation du discours, les recettes utilisées, mais aussi de mieux percevoir le partage des interventions entre : un auteur de l'acte écrit, l'official, qui ne fait que notifier et authentifier (suscription et sceau doivent se correspondre), puisqu'il n'y ajoute pas "confirmation" ; sollicité pour son "autorité" pour délivrer un acte, cet auteur est aussi dépersonnalisé que le "sceau de la cour [d'officialité]" qu'il utilise ; cas extrême ici, on ne mentionne aucun délégué, aucun scripteur, en bref aucun responsable de la mise par écrit : cet acte est caractéristique du genre diplomatique le plus abstrait qu'ait imaginé le Moyen Âge ; fondé sur les trouvailles du droit canon (en particulier sur le concept de l'office), il est à la base de la diplomatique administrative contemporaine... ; un auteur de l'action juridique (ici une vente, un peu particulière puisqu'elle porte sur une terre déjà grevée d'une redevance au bénéfice du futur acquéreur), Richard et sa famille ; un bénéficiaire (qui conserve l'acte dans son chartrier), l'abbaye ; l'auteur de l'acte lui applique les mêmes principes qu'à lui-même : dépersonnalisation (le nom personnel de l'abbé n'est pas davantage cité), principes de droit canon (le convent doit donner son accord à la gestion de l'abbé) : cette force juridique est aussi, comparativement aux actes des siècles passés, une faiblesse en matière de prosopographie, mais il est vrai que les sources sont maintenant démultipliées. Deux plans très différents se conjoignent donc : au plan de la diplomatique, un acte d'officialité (l'une des multiples solutions imaginées pour donner authenticité aux actes "privés", aux contrats entre particuliers) ; pour le droit et l'histoire économique et sociale, la vente d'une terre tenue à champart.
Le regeste de l'acte, ne retenant que les données factuelles, peut donc faire tomber les clauses, voire mettre en valeur la vente en signalant à la suite l'intervention de l'official. Ainsi :
1248, 11 mai. L'official de Beauvais fait savoir que Richard de Grez, de Saint-Félix, a vendu à l'abbaye Saint-Germer-de-Fly une terre arable sise au metz de l'abbaye à Amuchy, qui lui venait de l'héritage de sa tante Asceline d'Amuchy et qu'il tenait à champart de l'abbaye, avec le consentement de son épouse Aya et de sa fille Euphémie, pour le prix de 110 sous parisis.ou :
Vente par Richard de Grez, de Saint-Félix, à l'abbaye Saint-Germer-de-Fly d'une terre arable sise au metz de l'abbaye à Amuchy, qui lui venait de l'héritage de sa tante Asceline d'Amuchy et qu'il tenait à champart de l'abbaye, avec le consentement de son épouse Aya et de sa fille Euphémie, pour le prix de 110 sous parisis. Acte passé sous le sceau de l'officialité de Beauvais.Le type d'écriture, les dimensions réduites, le peu de soin apporté à la présentation sont caractéristiques de ce type d'actes et communs à toutes les officialités, qui ont été un grand laboratoire d'innovations graphiques et de diffusion du droit savant appliqué : cette production est le fait d'un personnel de juristes et d'administrateurs, de formation commune, et qui suivent, pour la procédure et pour la rédaction des actes, des formulaires largement diffusés.
La notification, universelle, introduit de plain-pied, sans fioritures, dans la description précise de l'acte juridique notifié. Il faut être attentif aux mots clefs : in nostra constituti presentia... recognoverunt (l. 2-3). C'est cette recognitio in jure (la reconnaissance orale devant cour de justice d'un acte ou d'un fait juridique) qui donne à l'acte écrit toute sa valeur : la notification vaut sentence, le vendeur est par avance condamné à abandonner le bien. La formule renvoie directement au droit romain redécouvert : confessas in jure pro judicatis haberi placet (Code Justinien, 7, 59, 1 ; cf. aussi Digeste 42, 2, 1). La description proprement dite de l'action juridique n'occupe que cinq lignes et demie (l. 2-7), elle est faite avec sobriété et précision.
Dans toute la suite de l'acte, jusqu'à la corroboration (l. 7-17), le droit savant reprend le dessus, avec une longue suite de clauses, destinées à prouver que l'acte est inattaquable : l'argent de la vente a bien été versé ; les vendeurs se sont engagés par serment (l. 9-10 : contester l'acte reviendrait donc à un parjure, que l'acheteur pourrait faire poursuivre devant un tribunal ecclésiastique) ; ils ont agi de leur plein gré (l. 10-11) ; ils s'engagent à ne pas "réclamer" contre l'acte : l'épouse du vendeur en particulier ne pourra attaquer l'acte en prétendant qu'une part de sa dot ait été ainsi aliénée (l. 11-13) ; ils promettent de garantir l'acte contre d'éventuels ayants droit qui contesteraient la vente (l. 13-14) ; ils renoncent par serment à exciper ultérieurement d'éventuelles "exceptions" : "pécune non nombrée" (l. 14-15), exceptions de toute nature (l. 15), "aide de droit canonique et civil" (l. 15-17). Toutes ces formules, appelées à enfler encore, n'ont plus guère d'intérêt que pour l'historien du droit, qui, en les mettant en série, suit leur diffusion.
L'acte se clôt par une courte corroboration probatoire, ici aussi très courante, avec annonce du sceau de la cour d'officialité (l. 17) et la date, d'année et de jour, exprimé par référence au calendrier liturgique, qui l'emporte très largement dans les actes du XIIIe siècle (l. 18-19).
Maîtrise du formulaire, longueur des clauses (la partie directement utile pour l'historien, date à part, occupe à peine le tiers du document) sont les deux caractéristiques principales du texte, qui trouvent leur source commune dans la formation juridique du rédacteur. Le fond des solutions mises en œuvre est le même que pour les notaires publics ; la principale différence tient à la validation par le sceau. Cette synthèse (parfaitement efficace) de la renaissance juridique et des pratiques septentrionales est symbolisée par la juxtaposition de deux termes pour désigner l'acte : le très technique instrumentum (terme typique aussi de l'acte notarié, (l. 16) et le très traditionnel litterae (l. 17).
Noter toutefois la tension double qui traverse ce type de production : volonté de clarté graphique, mais hâte qui peut tendre vers la cursivité, les bévues ; identique souci de clarté linguistique, mais risque d'obscurité de clauses et de formules de plus en plus savantes.