Introduction des cours Dossiers documentaires Bibliographies
1317, 10 décembre. Acte d'officialité (Verdun)
Notice   •   Fac-similé interactif   •   Texte et traduction•  Commentaire diplomatique
Dossier 39

L’emploi de la langue vernaculaire au détriment du latin dans un acte d’officialité peut sembler étonnante. C’est en fait un trait caractéristique de la production des officialités lorraines, en une province du reste où l’emploi du français dans les actes a été précoce et massif (384 actes, de 1214 à 1300, ont été ainsi repérés dans la seule collection de Lorraine de la Bibliothèque nationale de France et édités par Nathalis de Wailly, “ Notice sur les actes en langue vulgaire du XIIIe siècle à la Bibliothèque nationale ”, dans Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale et autres bibliothèques, t. 28/2, 1878, p. 1-288). On notera au passage la discrétion de l’emploi des abréviations : elle est déterminée par la langue employée (on sait que les abéviations sont normalement beaucoup plus fréquentes dans les actes latins) et non par l’état du scripteur, tout de même poussé par son état clérical à porter in fine son nom en latin.

Au fond pourtant, les paroles françaises ne font que décalquer les formulaires latins et les solutions juridiques et techniques mises au point dans les officialités épiscopales, vite imitées par des officialités de rang inférieur mais parfois fort actives, comme celles qui se créèrent sous l’autorité des doyens de chapitres cathédraux, de quelques abbés d’abbayes exemptes et, avant tout, d’archidiacres. On notera toutefois ici une certaine simplification du discours, qui n’est pas comme à l’ordinaire fondé sur la confessio in jure, mais sur la description immédiate du négoce juridique (“ reprint ”, l. 4).

Héritière directe, par contre, des solutions très tôt imaginées dans les officialités épiscopales est la mention, insistante, de la délégation de l’official à un adjoint spécialisé dans le traitement de l’affaire (“ clerc ”, “ notaire ”, “ juré ”, ici “ juré et fiauble ”) : “ auditeur ” des parties en qualité de témoin privilégié, ensuite habilité à rapporter la transaction à l’official et, en fait, à établir le document et à la préparer en vue du scellement par l’official. Ici, le “ juré ” de l’officialité décline une autre qualité, celle de notaire public d’investiture impériale, mais elle est sans conséquence aucune sur les caractères externes (modes de validation) et sur le discours diplomatique : l’acte est, à part entière et exclusivement, un acte d’officialité.

Très vite, les liens s’étaient distendus entre l’official et ses délégués : l’ébauche de signature (comme ici) ou le scellement temporaire de l’acte par le sceau personnel du juré (utilisé en “ sous-sceau ” et destiné à disparaître lors du scellement par l’official), sans doute accompagnés de la reconnaissance visuelle de l’écriture, constituèrent alors autant de moyens permettant à l’official de ne pas sceller à son insu des faux parmi les monceaux d’actes lui arrivant pour validation et concernant des affaires dont il n’avait pas entendu parler.

L’acte, au juste, a reçu un double scellement. Il faudrait une enquête régionale pour préciser la chronologie et la portée de la pratique. Le renforcement du sceau de la juridiction gracieuse ecclésiastique (official, doyen de chrétienté...) par un second sceau, cette fois de laïque, est ainsi un phénomène courant dans la Champagne de la fin du XIIIe siècle : il est destiné à conférer un surcroît d’authenticité à des productions qui subissent la rude concurrence des juridictions gracieuses princières. L’explication est ici d’autant plus plausible que le second sceau n’est annoncé que dans la formule de corroboration, qu’il est celui d’un vassal de l’évêque et qu’il laisse, dans la suscription, toute la responsabilité de l’acte à l’official.

Autre “ déviation ” de l’acte d’officialité primitif, on mentionne ici des témoins. Il se peut que leur présence soit liée moins aux pratiques diplomatiques qu’au fond féodal de l’affaire, en leur qualité d’“ hommes ” de l’évêque, donc aussi de pairs de l’intéressé.

Derrière des formules limpides en apparence, le montage de l’acte laisse donc en fin de compte apparaître une certaine complexité, qui répond d’ailleurs à la complexité du montage féodal, dont un pan entier nous est dissimulé parce que le propos de l’acte n’est pas dans la description de toute l’opération mais dans l’affirmation des droits de l’évêque, seigneur supérieur d’une cascade d’inféodations et de “ services ” superposés. Si Jean des Armoizes “ reprend ” le fief qu’il tient de l’évêque (sans doute parmi d’autres), pour en faire investir Henri de Briey (qui le “ reprend ”), autrement dit s’il demande à l’évêque de transférer le fief, sans perte de “ service ” pour le prélat, la raison en demeure inconnue : vente ? compensation ? faveur ? Il reste que le lexique introduit de plein pied dans le jeu dynamique et relationnel de la féodalité (reprendre, remettre, donner, reprendre...). Féodalité qui par ailleurs régule des relations économiques : un cran plus bas, le fief est dit consister en des droits (des prélèvements donc) sur des droits et prélèvements que perçoivent des tiers, eux aussi issus du monde seigneurial, mais dans des modalités qui elles aussi échappent à la description documentaire.