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Conseils pour l’édition des textes de l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècle)

édition, typographie, sources, époque moderne

Avertissement

Le texte qui suit reprend, sous une forme abrégée et remaniée, les conseils naguère publiés dans L'Édition des textes anciens, XVIe-XVIIIe siècle, sous la direction de Bernard Barbiche et Monique Chatenet (Paris : Inventaire général, 1990 ; 2e éd. 1993, coll. « Documents et méthodes », n° 1). Sur certains points, il propose des normes légèrement différentes de celles qui avaient été primitivement énoncées, notamment en ce qui concerne l'accentuation des documents des XVIe et XVIIe siècles. Ces modifications sont l'aboutissement d'une étude et d'une réflexion menées sur les imprimés d’époque. L'application des nouvelles règles ci-dessous préconisées devrait rendre plus facile et plus claire l'édition des textes de la première modernité.

Une édition critique n'est pas une reproduction photographique. Elle résulte d'un compromis raisonnable entre, d'une part, le respect du texte à publier (dont on ne doit en aucun cas moderniser la graphie) et, d'autre part, le souci de le rendre aussi intelligible que possible pour un lecteur d'aujourd'hui. Un bon éditeur de textes doit faire preuve de constance, de rigueur et de bon sens.

I. L'établissement du texte

Un texte peut nous être parvenu sous diverses formes : brouillon, minute, original, copie, enregistrement au départ ou à l'arrivée, édition ancienne, etc. C'est ce qu'on appelle la tradition. Une édition ancienne doit être traitée comme une copie manuscrite.

1. Si l'on possède un seul état du texte, on le reproduit tel quel en signalant éventuellement les formes aberrantes qu'il présente à l'aide de crochets carrés, de sic ou de notes. Avant de décréter qu'une forme est aberrante, on s'assurera que l'usage n'a pas évolué depuis l'époque considérée.

2. Si l'on possède plusieurs états du texte, dont l'original ou les originaux, ce(s) dernier(s) ser(ven)t de base à l'édition. Il peut être utile de signaler en note les variantes que présentent certains autres états (minute, registre d'expédition au départ, édition ancienne).

3. Si l'on possède plusieurs états du texte autres que l'original, on choisit celui qui est le plus proche de l'original et on signale en note les variantes que présentent les autres états par rapport au texte de base.

4. Seules sont à retenir les variantes qui ont une incidence sur le sens du texte, à l'exclusion des particularités purement graphiques ou grammaticales.

5. Si les variantes sont nombreuses, on les regroupe dans une série spéciale de notes appelées par des lettres. Si elles sont rares, on peut les inclure dans la série générale des notes appelées par des numéros.

6. Si l'abondance des variantes est telle que l'annotation critique risque d'être trop complexe, on peut recourir à une présentation en colonnes.

7. Les additions et corrections marginales ou interlinéaires seront intégrées à leur place dans l'édition, mais leur présence et leur position seront signalées en note, ainsi que, éventuellement, les mots raturés, dans la mesure où ils sont lisibles.

8. Les annotations marginales, apostilles, adresses dorsales, mentions hors teneur seront signalées dans l'apparat critique.

II. La transcription

1. En règle générale, il est inutile de numéroter les lignes du document édité. Si l'on juge indispensable de procéder à cette signalisation (dans le cas d'un document très abîmé, par exemple), on indiquera les numéros des lignes entre crochets.

2. Graphie.— La graphie du document doit être rigoureusement respectée. Toutefois, les lettres i et u ayant valeur de consonne seront en principe transcrites respectivement par j et v. Les textes ou passages chiffrés seront décryptés.

3. Transcription des nombres.— En règle générale, les nombres seront reproduits tels qu'ils se présentent dans le document (en toutes lettres, en chiffres romains ou arabes). Toutefois, dans les comptes ou autres documents financiers, il est recommandé de transcrire en chiffres arabes les données exprimées en chiffres romains.

4. Lacunes.— Les passages effacés ou détruits, les lettres ou mots omis accidentellement par le scribe seront restitués entre crochets dans la mesure du possible (à l'aide du sens ou d'une copie, par exemple). En cas d'impossibilité de reconstitution du texte, ces passages seront représentés par des points de suspension, également placés entre crochets.

5. Abréviations.— Les abréviations doivent être développées, sans qu'il soit nécessaire d'indiquer de façon apparente les lettres restituées. Toutefois, dans certains cas ambigus, il peut être préférable de reproduire tel quel un mot abrégé : par exemple sr (sieur ou seigneur ?), monsr (monsieur ou monseigneur ?), me (maître ou messire ?). D'autres abréviations courantes et aisément intelligibles pourront de même être conservées (led., lad., l.[livre], s.[sol], d.[denier]). Pour résoudre les abréviations, on se référera autant que possible aux graphies clairement attestées dans d'autres parties du texte édité.

6. Séparation des mots.— Les mots agglutinés seront séparés (par exemple, treshumble sera transcrit tres humble). En revanche, les locutions qui, par la suite, se sont soudées pour ne former qu'un seul mot (il s'agit essentiellement de futurs adverbes et conjonctions : aussi tôt, en fin, long tems, lors que, par tout, sur tout, tous jours) ne seront pas réunies.

7. Accentuation.— En matière d'accentuation, il convient d'appliquer à chaque corpus de textes un système cohérent inspiré le plus possible des usages graphiques et typographiques du temps. Concrètement, il paraît sage de distinguer trois périodes :

  • a) Le XVIe siècle (jusque vers les années 1580). On appliquera aux textes du XVIe siècle les normes fixées pour l'édition des textes médiévaux. Seul l'accent aigu sera utilisé sur la lettre e pour distinguer e tonique de e atone en monosyllabe ou en syllabe finale (né, tombé, vous avés, aprés, procés). On n'accentuera pas les finales en -ee (nee, armee).
  • b) Le XVIIe siècle (vers 1580-vers 1715). Pour l'édition des documents du XVIIe siècle, les accents peuvent être plus largement utilisés. En particulier, on accentuera les finales en -ée (née, armée), et on emploiera l'accent grave sur les lettres a, e et u dans les prépositions et les adverbes monosyllabiques pour les distinguer des mots homographes (à, là, dès, lès, où). En revanche, on n'accentuera pas la lettre e à l'intérieur d'un mot (maniere, pere, present).
  • c) Le XVIIIe siècle. Pour les documents du XVIIIe siècle, on appliquera l'usage actuel.

8. Autres signes orthographiques.— Le tréma, la cédille, l'apostrophe seront introduits et utilisés conformément à l'usage actuel, même pour des textes du XVIe siècle. Inversement, on supprimera le tréma s'il figure sur des mots qui n'en comportent plus aujourd'hui (ex.: queüe, veü). On emploiera le trait d'union avec modération.

9. Ponctuation, majuscules et minuscules.— On appliquera dans tous les cas les règles actuelles, sans tenir compte de la pratique du scribe.

10. Alinéas.— En principe, la disposition du texte sera respectée. Toutefois, il peut être utile d'introduire des alinéas dans des développements trop longs ou trop compacts.

III. L'apparat critique

Chaque pièce d'un recueil de documents (actes officiels, correspondances, actes notariés) doit être enchâssée dans un apparat critique comportant :

  • le numéro d'ordre ;
  • s'il s'agit de lettres, les noms du signataire et du destinataire (ou celui du destinataire seul s'il s'agit d'un recueil de lettres du même auteur) ;
  • la date de temps et de lieu exprimée suivant le comput moderne ;
  • le sommaire du document ;
  • le « tableau de la tradition » (sous une forme moins sophistiquée que pour les documents du haut Moyen Age) ;
  • éventuellement les mentions hors teneur, l'adresse et les analyses dorsales (si elles présentent de l'intérêt) ;
  • des notes historiques et critiques.