0. La production documentaire
Diplomatique, archivistique médiévale
0.1. Évolution du questionnaire diplomatique
D'abord constituée en science pour dégager des règles objectives de critique des faux documents (§ 1.6), pour aider à l'édition (§ 1.5) et à la datation (§ 2) des actes médiévaux, la diplomatique, sous l'influence déterminante des savants allemands du XIXe siècle, relayés dans tous les pays européens, a prolongé son enquête en regroupant de façon thématique ses approches, considérées pour elles-mêmes. - Au-delà des diplomatiques “ spéciales ” (il y en a autant que de types d'auteurs ou de documents : diplomatiques pontificale, impériale, royale et épiscopale de chaque pays, diplomatique de l'acte privé… : § 4 à 8), s'est ainsi formée une diplomatique “ générale ” regroupant, outre les aspects diplomatiques de la chronologie (§ 2) et de la sigillographie (§ 3), trois façons de questionner les documents, de mettre en série leurs témoignages :
- la “ forme ”, qui recense les caractères externes et internes des actes et étudie leur évolution et leur portée (§ 1.3) ;
- la “ tradition ”, qui observe les états dans lesquels les textes nous ont été transmis (§ 1.4) ;
- la “ genèse ”, qui étudie les processus de création documentaire (§ 0.2). Dernière née, celle-ci a été ici placée en tête pour s'intéresser non pas seulement aux milieux des producteurs d'actes, mais encore à la demande globale d'écrit par la société.
Autre enrichissement récent, les méthodes et questionnaires élaborés pour l'étude des actes au sens stricts ont été exportés, mais encore bien partiellement, vers les documents d'archives au sens large (voir la bibliographie d’archivistique médiévale).
0.2. Pratiques de l'écrit
0.2.1 La genèse des actes
Contrairement à l'étude de la forme ou de la tradition, qui développent des considérations générales sur le maniement de la langue, sur la relation avec la norme juridique, sur des types de recueils comme les cartulaires..., l'étude de la genèse des actes se pratique essentiellement dans le cadre de la diplomatique spéciale, surtout par le biais de l'étude des rédacteurs plus ou moins professionnels, des chancelleries, de leur personnel, de leurs méthodes de travail (§ 4-8). - La genèse, qui pose le problème des mécanismes de décision, des rapports avec les sujets ou administrés, envisage aussi deux grands problèmes plus techniques, au moins en apparence :
- d'un côté la circulation des formules, l'apprentissage des rédacteurs d'actes, la compilation de formulaires (presque toujours officieux et privés au Moyen Âge) dont l'étude intéresse aussi la tradition des actes (§ 1.4.4) ;
- d'un autre côté, question cruciale jusqu'au XIIe siècle, le tri entre les actes produits par la chancellerie de l'auteur et ceux qui ont été composés par le bénéficiaire - problème qui a remarquablement posé par :
Benoît-Michel TOCK, « Auteur ou impétrant ? Réflexions sur les chartes des évêques d'Arras au XIIe siècle », dans Bibliothèque de l'École des chartes, 149 (1991), p. 215-248, 4 f.-s. [8Q5]
Jalons pour une étude des rapports entre pétition du sujet et grâce du souverain, donc entre supplique et acte :
Suppliques et requêtes : le gouvernement par la grâce en Occident (XIIe-XVe siècle), sous la dir. d’Hélène MILLET, Rome, 2003 (Collection de l’École française de Rome, 310). [8Q401(310)]
Forme della comunicazione politica in Europa nei secoli XV-XVIII : suppliche, gravamina e lettere/Formen der politischen Kommunikation in Europa vom 15. bis 18. Jahrhundert : Biiten, Beschwerden, Briefe, a cura di/hrsg. von Cecilia NUBOLA-Andreas WÜRGLER, Bologne-Berlin, 2004 (Annali dell’Istituto storico italo-germanico in Trento, Contributi, 14). Où trouver ce document ?
0.2.2 Le recours à l'écrit
En dernier ressort, enfin, l'étude de la genèse débouche sur la question non du comment, mais du pourquoi : quel recours a-t-on à l'écrit et quelle part est laissée à l'oral ? Quelle est en bref, dans le champ documentaire, la part de la “ Literacy ” (all. “ Schriftlichkeit ”) ? D'abord posée par les historiens anglo-saxons, puis allemands, la question a une double implication : très concrètement, sur la représentativité des “ monuments ” écrits qui nous sont seuls, ou presque, accessibles ; très largement, sur l'histoire culturelle au sens le plus large.
Quelques grands jalons :
Heinrich FICHTENAU, Das Urkundenwesen in Österreich vom 8. bis zum frühen 13. Jahrhundert, Vienne, Cologne, Graz, 1971 (M.I.Ö.G. Ergänzungsband, 23). [8C463]
Michael T. CLANCHY, From memory to written record, England, 1066-1307, Oxford, 1979, nouv. éd. 1993 et 2000. [8O1337]
Paolo CAMMAROSANO, Italia medievale, struttura e geografia delle fonti scritte, Rome, 1992, 5e réimpr. 1998 (Studi superiori N.I.S., Storia, 109). Où trouver ce document ?
Ou sous forme d'enquêtes plus pointues :
Rosamond McKITTERICK, The Carolingians and the written word, Cambridge, 1989, spéc. p. 77-134 sur les chartes de Saint-Gall. [8O1472]
Pragmatische Schriftlichkeit im Mittelalter : Erscheinungsformen und Entwicklungsstufen, éd. Hagen KELLER, Klaus GRUBMÜLLER et Nikolaus STAUBACH, Munich, 1992 (Münstersche Mittelalter Schriften, 65). [4F169(65)]
“ De ordine vitae ” : Zu Normvorstellungen, Organisationsformen und Schriftgebrauch im mittelalterlichen Ordenswesen, éd. Gert MELVILLE, Münster, 1996 (Vita regularis, 1). Où trouver ce document ?
Charters and the use of the written word in medieval society, éd. Karl HEIDECKER, Turnhout, 2000 (Utrecht studies in medieval literacy, 5). [8O1798(5)] version numérique [LE58]
Pragmatische Dimensionen mittelalterlicher Schriftkultur, hrsg. von Christel Meier, Volker Honemann, Hagen Keller und Rudolf Suntrup, Munich, 2002 (Münstersche Mittelalter-Schriften, 79). [4F169(79)]
The development of literate mentalities in East Central Europe, ed. by Anna ADAMSKA and Marco MOSTERT, Turnhout, 2004 (Utrecht studies in medieval literacy, 9). [8O1798(9)] version numérique [LE75]
Laurent MORELLE, « Instrumentation et travail de l’acte : quelques réflexions sur l’écrit diplomatique en milieu monastique au XIe siècle », dans Médiévales, n° 56, printemps 2009, p. 41-74. [8Q469]
Décrire, inventorier, enregistrer entre Seine et Rhin au Moyen Âge, études réunies par Xavier Hermand, Jean-François Nieus et Étienne Renard, Paris, 2012, 460 p. (Mémoires et documents de l’École des chartes, 92). [8Q16(92)]
Documentary culture and the laity in the Early Middle Ages, ed. by Warren C. Brown, Marios Costambeys, Matthew Innes and Adam Kosto, New York, 2013, XVI-389 p. Où trouver ce document ? En cours d'acquisition à la BECH
Pierre CHASTANG, La ville, le gouvernement et l’écrit à Montpellier (XIIe-XIVe siècle) : essai d’histoire sociale, Paris, 2013, 478 p. (Histoire ancienne et médiévale, 121). [8B1312]
Une introduction générale :
Joseph MORSEL, « Ce qu’écrire veut dire au Moyen Âge, observations préliminaires à une étude de la scripturalité médiévale », dans Memini, travaux et documents de la Société des études médiévales du Québec, t. 4, 2000, p. 3-43 [8Q547] ; version revue dans Écrire, compter, mesurer : vers une histoire des rationalités pratiques, études réunies par Natacha Coquery, François Menant et Florence Weber, Paris, 2006, p. 4-32.
Des réflexions exemplaires sur l’entrecroisement des stratégies de mise par écrit et de conservation :
Laurent MORELLE, « Les "actes de précaire", instruments de transferts patrimoniaux (France du nord et de l'est, VIIIe-XIe siècle) », dans Les transferts patrimoniaux en Europe occidentale, VIIIe-IXe siècles, I, actes de la table ronde de Rome, 6, 7 et 8 mai 1999, Mélanges de l'École française de Rome, Moyen Âge, 111 (1999), n° 2, p. 607-647. [8DEL871(36)]
Guido CASTELNUOVO, « Les officiers princiers et le pouvoir de l’écrit : pour une histoire documentaire de la principauté savoyarde, XIIIe-XVe siècle », dans Offices, écrit et papauté (XIIIe-XVIIe siècle), éd. Armand Jamme et Olivier Poncet, Rome, 2007 (Collection de l’École française de Rome, 386), p. 17-46. [8Q401(386)]
Scritture e potere : pratiche documentarie e forme di governo nell’Italia tardomedievale (XIV-XV secolo), a cura di Isabella LAZZARINI, dans Reti medievali Rivista, IX, 2008, en ligne : http://www.retimedievali.it.
Joseph MORSEL, « En guise d’introduction : les chartriers entre ‘retour aux sources’ et déconstruction des objets historiens », dans Défendre ses droits, construire sa mémoire : les chartriers seigneuriaux, XIIIe-XXIe siècle, actes du colloque international de Thouars, 8-10 juin 2006, éd. Philippe Contamine et Laurent Vissière, Paris, 2010 (Société de l’histoire de France), 9-34. [8G4(140)]
0.3. Histoire des archives médiévales
Très en retard par rapport à l'histoire des bibliothèques médiévales, l'histoire des pratiques archivistiques médiévales (pratiques de conservation mais aussi de destruction, de classement, d'inventaire...) promet pourtant de beaux aperçus sur le rapport à l'écrit. Les éditions d'inventaires médiévaux, les mises au point sur des dépôts particuliers n'ont pas manqué depuis le XIXe siècle ; mais il a fallu attendre les dernières décennies pour dégager l'intérêt du thème, pour l'histoire des clercs et des historiens, de l'administration et du pouvoir :
Jane E. SAYERS, The medieval care and custody of the archbishop of Canterbury's archives, dans Bulletin of the Institute of historical research, 39 (1966), p. 95-107 (repr. dans ead., Law and records in Medieval England, Londres, 1988, art. XII.) [8Q202]
Bernard GUENÉE, Histoire et culture historique dans l'Occident médiéval, Paris, 1980 (Collection historique), spéc. p. 91-100. [8E459]
Peter RÜCK, « Die Ordnung des herzoglich-savoyischen Archive unter Amadeus VIII. (1398-1451) », dans Archivalische Zeitschrift, t. 67, 1971, p. 11-101 [8Q370] ; trad. italienne augm., L’ordinamento degli archivi ducali di Savoia sotto Amadeo VIII, 1398-1451, Rome, 1977 (Quaderni della Rassegna degli Archivi di Stato, 48). [8Q231A(48)] [Compte rendu par Jean-Yves MARIOTTE, La Gazette des archives, 1972, p. 33-39].
Le premier inventaire du Trésor des chartes des ducs de Bretagne (1395), Hervé Le Grant et les origines du « Chronicon Briocense », édité par Michael JONES, Rennes, 2007. [4B1114]
Quelques autres études dont la bibliographie permettra de poursuivre l'enquête (voir aussi § 1.4.2.4) :
Olivier MATTÉONI, « La conservation et le classement des archives dans les Chambres des comptes de la principauté bourbonnaise à la fin du Moyen Âge », dans Les chambres des comptes (XIVe-XVe siècles), actes du colloque de Moulins, 6-8 avril 1995, éd. Philippe Contamine et O. Mattéoni, Paris, 1996, p. 65-81 [8G876(2)] ; repr. dans Id., Institutions et pouvoirs en France, XIVe-XVe siècles, Paris, 2010 (Les médiévistes français, 10), p. 170-186.. [8IF610(10)]
Olivier GUYOTJEANNIN, « Les méthodes de travail des archivistes du roi de France (fin XIIIe-début XVIe siècle) », dans Archiv für Diplomatik, 42 (1996), p. 295-373 [8DEL785(14)] ; « La science des archives à Saint-Denis (fin du XIIIe-début du XVIe siècle) », dans Saint-Denis et la royauté, études offertes à Bernard Guenée, éd. Françoise Autrand, Claude Gauvard et Jean-Marie Moeglin, Paris, 1999 (Histoire ancienne et médiévale, 59), p. 339-353 [8DEL800(12)] ; « La tradition de l’ombre : les actes sous le regard des archivistes médiévaux (Saint-Denis, XIIe-XVe siècles) », dans Charters, cartularies and archives : the preservation and transmission of documents in the medieval West, proceedings of a colloquium of the Commission internationale de diplomatique (Princeton and New York, 16-18 september 1999), ed. by Adam J. Kosto and Anders Winroth, Toronto, 2002 (Papers in mediaeval studies, 17), p. 81-112. [8O1919(17)]
Laurent MORELLE, « Histoire et archives vers l'an mil : une nouvelle mutation ? », dans Histoire et archives, n° 3 (janvier-juin 1998), p. 119-141 [8Q533] ; « The metamorphosis of three monastic charter collections int the eleventh century (Saint-Amand, Saint-Riquier, Montier-en-Der) », dans Charters and the use of the written word..., p. 171-204. [8O1798(5)]
Paul BERTRAND, « De l’art de plier les chartes en quatre : pour une étude des pliages de chartes médiévales à des fins de classement et de conservation », dans Gazette du livre médiéval, n° 40, printemps 2002, p. 25-35. [16Q4]
Sébastien BARRET, La mémoire et l’écrit : l’abbaye de Cluny et ses archives, Xe-XVIIIe siècle, Münster, 2003, 398 p. (Vita regularis, Abhandlungen, 17). [8F1244(19)]
Jean-François NIEUS, « Le chartrier des comtes de Saint-Pol au XIIIe siècle : approche d’un fonds disparu », dans Histoire et archéologie du Pas-de-Calais, t. 21, 2003, p. 11-36. Où trouver ce document ?
Jean-François NIEUS et Pierre DEHOVE, « Aux origines de la science princière des archives : le premier chartrier des comtes de Namur et son inventaire de 1263 », dans Bibliothèque de l’École des chartes, t. 168, 2010, p. 95-149. [8Q5]
Bernard ANDENMATTEN et Guido CASTELNUOVO, « Produzione documentaria e conservazione archivistica nel principato sabaudo, XIII-XV secolo », dans Bullettino dell’Istituto storico italiano per il Medio Evo, t. 110/1, p. 279-348. [8Q153]
Archives antiques :
Le renouveau de l’histoire des archives médiévales accompagne un fort mouvement d’intérêt pour la réinterprétation, voire la reconstitution ex nihilo des archives antiques, dont le modèle est toujours présent aux premiers siècles médiévaux.
Études classiques :
E. POSNER, Archives of the Ancient World, Cambridge (Mass.), 1972, rééd. Chicago, 2003. [8B1064(2)]
E. LODOLINI, « Gli archivi di tavolette di argilla nell’antico Vicino Oriente (3200 a.C. - 50 d.C.) », dans Rassegna degli Archivi di Stato, t. 36, n° 3, sett.-dic. 1976, p. 707-743 et 6 planches. [8DEL776(2)]
Et plus récemment :
Archives before writing, proceedings of the international colloquium (Oriolo Romano, october 23-25 1991), Rome, 1994. Où trouver ce document ?
O. PEDERSÉN, Archives and libraries in the Ancient Near East, 1500-300 B.C., Bethesda (Maryland), 1998. Où trouver ce document ? En cours d'acquisition à la BECH
Ancient archives and archival traditions: concepts of record-keeping in the Ancient World, ed. by M. BROSIUS, Oxford, 2003 (Oxford studies in ancient documents). [Mésopotamie et Grèce.] [8B1306]
J. P. SICKINGER, Public records and archives in classical Athens. University of South Carolina Press, 1999. [8C402]
La mémoire perdue : à la recherche des archives oubliées, publiques et privées, de la Rome antique, sous la dir. de Cl. NICOLET, Paris, 1994 (Histoire ancienne et moderne, 30) ; La mémoire perdue, recherches sur l’administration romaine, sous la dir. de Cl. MOATTI, Rome, 1998 (Collection de l’École française de Rome, 243). [8IG44]
Plus largement, sur les pratiques de l’écrit :
J. GOODY, La logique de l’écriture : aux origines des sociétés humaines, trad. fr., Paris, 1986. Où trouver ce document ?
Cl. ORRIEUX, Les papyrus de Zénon : l’horizon d’un grec en Égypte au IIIe siècle avant J.-C., Paris, 1988. Où trouver ce document ?
N. LEWIS, La mémoire des sables : la vie en Égypte sous la domination romaine, trad. fr., Paris, 1988. Où trouver ce document ?
A. K. BOWMAN, Life and letters on the Roman Frontier : Vindolanda and its people, New York-Abingdon, 1994. Où trouver ce document ? En cours d'acquisition à la BECH
D. CHARPIN, Lire et écrire à Babylone, Paris, 2008. Où trouver ce document ?